Ce personnage, c’était moi. Trop moi.
#2 – Une couverture en avant-première, le journal de mes corrections éditoriales... et des spoilers !
16 avril : Sortie de Robin à la dernière seconde au format poche !
Les Plieurs de Temps vont avoir droit à leur version miniature, avec encore plus de dorures ! Et ce mois-ci, c’est le premier tome qui arrive en librairie.
Avril est là,
il est donc temps de te montrer en avant-première la couverture de ma prochaine nouveauté, qui arrivera en librairie le 7 mai ! (Merci de ne pas la diffuser sur les réseaux tant que la maison d’édition et moi ne l’avons pas fait.)
Ce nouveau livre est un album jeunesse illustré par la fabuleuse Lili Wood.
Il se passe sur une plage. Il se passe en enfance.
Je l’aime, et j’espère que tu l’aimeras aussi.
Voici sa couverture...
Dans cette newsletter,
je vais parler du processus de corrections éditoriales, puis, à la fin, je vais faire un truc que je refuse d’habitude : spoiler à mort mes romans !
Pourquoi ?
Parce que j’ai promis d’expliquer les liens entre mes différents univers de fantasy. Et pour ça, je dois parler d’évènements qui se déroulent vers la fin de certains livres. Mais pas d’inquiétude, je te préviendrai quand on y arrive, et je te préciserai avant quelles informations seront dévoilées afin que tu puisses choisir de lire maintenant ou de garder la suite de cette newsletter pour quand tu auras terminé la lecture de ces romans.
Journal d’écriture
J’ai passé la deuxième partie du mois de mars à corriger mon roman écossais. Certains personnages périphériques ne fonctionnaient pas encore – car trop périphériques, justement. Et l’arc d’une héroïne, c’est à dire son évolution entre le début et la fin du roman, était bancal. J’ai vite compris ce qui clochait.
Ce personnage, c’était moi. Trop moi.
J’ai besoin d’avoir des points communs avec mes personnages pour les écrire. En revanche, j’ai toujours eu du mal à écrire des personnages qui me ressemblent beaucoup, peut-être parce qu’avoir du recul sur soi-même est difficile.
Alors que mes premières lectrices et mes éditrices pointaient des détails différents de mon manuscrit, je me suis rendue compte que la plupart de leurs retours allaient dans le même sens : il fallait éloigner ce personnage de moi. Nous décoller l’une de l’autre. Alors je me suis retroussé les manches et j’ai creusé nos différences.
Cette phase des corrections est ma préférée. L’écriture d’un premier jet est parfois laborieuse et, plus tard dans le processus, lorsqu’on arrive aux dernières relectures, l’émotion de dire au revoir à un texte se mêle d’une certaine lassitude à force de relire encore un roman que j’ai déjà remanié de nombreuses fois. Mais ce moment-là, où j’ai devant moi un roman complet, instable et malléable, est mon vrai grand plaisir d’autrice.
Je sais ce que je veux raconter.
Je sais comment je veux le raconter.
La matière est déjà sortie de moi.
Et avec l’aide de premiers lecteurs, je discerne mieux ce qui résiste. Je peux mettre les mains dans les mots. Malaxer, déplacer, affiner, couper, préciser.
Mon roman, à ce stade, je le maîtrise. Si je fais une modification dans tel chapitre, je sais que je dois aussi en faire une autre ici, et une autre là-bas. Il y a cette excitation de sentir que, rustine littéraire après rustine littéraire, le visage de mon roman apparaît. Qu’il devient ce qu’il devait être, qu’il s’approche de cette sensation qui m’accompagne depuis le début de l’écriture et que j’essaye de traduire en mots.
Évidemment, moi, je connais les rustines, mais toi, quand tu liras ce roman, tu ne sauras pas qu’il y a eu des réparations. C’est ça, l’objectif : t’offrir l’illusion de la facilité, comme si ce texte avait coulé en moi et que je te l’avais retranscrit avec évidence, exactement tel que tu le découvres.
C’est marrant, j’ai commencé à écrire ce journal d’écriture en me disant que ça allait être court, que l’essentiel de la newsletter serait ce qui suit, mais dès que je parle d’écriture, j’ai envie de creuser.
Alors voilà, le texte est partie chez ses éditrices, et moi, je suis partie en rencontres scolaires, suivies d’un salon du livre. Avant-hier, le texte m’est revenu. Je suis plongée dans le deuxième round des corrections, à partir de retours plus précis – remarques rédigées au fil du roman, propositions de modifications… Je vais passer tout ça en revu, puis imprimer et relire sur papier, à voix haute. Cette deuxième phase des corrections éditoriales est celle où j’ai besoin de changer de support et de tester le texte, pour repérer de nouveaux défauts.
Et ce roman-là, j’ai particulièrement hâte de le passer au tamis de ma voix pour retirer les derniers détails qui l’encombrent. L’un de mes éditeurs – Jean-Philippe Arrou-Vignod, pour ne pas le citer ! – a une jolie métaphore pour décrire ce moment. Il dit qu’on a besoin d’échafaudages pour construire une maison, mais qu’une fois la maison terminée, il faut les enlever. Toutes ces petites béquilles qui m’ont aidé à comprendre où je voulais aller mais ne sont plus utiles à présent que le roman-maison est là, il me faut les évacuer.
Alors oui, hâte de lire à voix haute. Hâte de me fondre dans le rythme de ce texte, de l’entendre résonner, d’affûter sa musicalité. Parce que de musique il est question. De violoncelle, en particulier – l’instrument qui m’accompagne depuis l’enfance. Tout est parti d’une image : un jeune violoncelliste en train de jouer sur une falaise, avec des femmes d’un autre temps qui dansent devant lui. C’est le centre de ce roman, son coeur battant. Et je veux qu’il cogne fort.
Le planning de corrections est serré. Comme ce roman sortira pour la rentrée littéraire, la maison d’édition éditera bientôt des “épreuves non corrigées” – c’est à dire une impression du texte corrigé par moi mais avant le passage d’une correctrice professionnelle et avant mon ultime relecture. Bien sûr, comme ce roman « pas tout à fait fini » va atterrir entre les mains de libraires, de journalistes et de jurés de prix littéraires, j’aimerais qu’il soit le plus abouti possible, ce qui ajoute une dose de pression.
Pour que celles et ceux qui le souhaitent puissent s’arrêter avant les spoilers, on va tout de suite faire un point sur…
9 avril, 18h : rencontre à la librairie Nemo, Montpellier (34)
12 & 13 avril : Festival du livre de Paris (75)
15 avril : rencontre autour du Cycle des Secrets à la Librairie Nouvelle, Asnières (92)
Allez, le moment des spoilers est arrivé !
Voici ce que je vais révéler d’important dans la suite de cette newsletter :
Le sort d’Équinoxe à la fin du Cycle des secrets (et globalement l’épilogue du troisième tome)
Un retournement de situation concernant Lora, qui se trouve à la fin du deuxième tome du Cycle des Secrets
Le sort d’un personnage important de L’Héritage des Rois-Passeurs et des Illusions de Sav-Loar
Un élément-clé du dénouement de L’Héritage des Rois-Passeurs
Si tu es un ou une allergique du spoiler qui n’a pas encore lu intégralement ces romans, c’est le moment d’enregistrer cette newsletter pour plus tard...
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C’est bon ?
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On y va !
Mes différents univers de fantasy forment à présent un multivers.
Certains ont capté les liens entre ces romans dès le prologue du Cycle des Secrets, à cause de la présence de jumeaux. D’autres, pour qui, peut-être, la lecture de L’Héritage ou de Sav-Loar était plus lointaine, ont compris plus tard. Alors je vais t’exposer de quelle manière ces univers se recoupent.
L’héritage des Rois-Passeurs se déroule dans deux mondes : le notre à notre époque, et Ombre, monde médiéval avec de la magie et des créatures. Entre les deux, se trouve un interstice, les limbes, auquel le dieu Gris – dieu de la vie est de la mort, ou dieu du passage selon les versions – a accès. C’est par là que les morts transitent avant que le Gris les envoie vers le monde qui leur est dédié.
Quand j’ai publié ce roman, Anne Besson, chercheuse spécialiste des littératures de l’imaginaire, m’a dit qu’elle aurait aimé en savoir plus sur les limbes. Et elle n’est pas la seule, c’est aussi le cas d’un de mes personnages préférés de tous ceux que j’ai écrit : Luernios, un prêtre du dieu gris. À un moment du roman, il entend le dieu parler des limbes comme de son « royaume perdu » et l’interroge.
— Que s’est-il passé ? À quoi ressemblaient les limbes auparavant ? (…)
— Passons un accord : le jour où je t’accueillerai dans les limbes, si tu veux encore connaître cette histoire, je te la raconterai.
Dans Les illusions de Sav-Loar, à la mort de Luernios, le dieu Gris tient parole.
— C'est un long récit...
— Je ne suis pas pressé.
Le Gris sourit.
— Moi non plus, mon cher Luernios. Moi non plus.
Et côte à côte, le dieu et son prêtre s'enfoncèrent dans l'entre-monde pour partager un ultime secret.
C’est en effet un long récit qui m’a pris... trois tomes !
Car si tu as lu Le Cycle des Secrets, « les limbes », ça doit te dire quelque chose. C’est une immense sphère composée de milliers de facettes, qui chacune mène à un monde différent. Seule Équinoxe peut y accéder.
Le Cycle des Secrets est donc le (long!) récit que fait le dieu Gris à Luernios. Il lui raconte comment les limbes, ce portail vers des milliers de monde, se sont, à cause de lui – ou d’elle, Équinoxe –, disloquées jusqu’à devenir ce simple interstice entre les deux derniers mondes encore accrochés : Ombre, et Rive (chez nous!). Au passage, il lui raconte aussi d’où viennent ses pouvoirs de “dieu”.
Des humains étaient devenus des mages. Des mages étaient devenus des dieux. Et pourtant, ils restaient des humains.
Et bien sûr, les jumeaux, frère et sœur d’Équinoxe que je ne nomme jamais, sont Aa et Izil, dieu de la nuit et déesse du jour, qui marchent parmi les hommes des L’Héritage et dans Sav-Loar. Je fais plusieurs fois allusion à eux dans Le Cycle des Secrets.
(…) les jumeaux, qui jouaient aux dieux sur un autre monde, tissant leur légende auprès des populations locales (...)
Équinoxe, leur aînée, est donc le dieu Gris... même si c’est un peu plus compliqué que ça, comme tu l’as peut-être déjà lu dans l’épilogue du troisième tome.
Eeeeeet j’y raconte aussi, par la voix du dieu gris, pourquoi j’ai choisi au départ d’appeler mon personnage Équinoxe – non, ce n’était pas juste parce que c’est joli. Même si c’est joli !
Mon frère et ma sœur avaient choisi des extrêmes – nuit profonde, jour éclatant –, je me suis attribué la modération. L’Équinoxe, au jour égal à la nuit. Le gris – comme un clin d’œil à la robe d’esclave de Lora la dernière fois que je l’ai vue.
Des traces de son changement de genre existent déjà dans Les illusions de Sav-Loar : les Aranéides adorent le dieu gris sous une forme féminine.
Et pourquoi ai-je choisi à Équinoxe une forme astrale de loup ? La réponse est à chercher du côté du peuple chasseur de dragon, chez qui vit Ravenn au tout début de L’Héritage des Rois-Passeurs. Déjà, leurs chasseurs sont organisés en « meutes ». Mais la véritable raison est plus profonde. Lorsque Ravenn s’en va pour regagner son royaume, elle passe un marché avec Kaltaj, le chef de clan.
Quoi qu’il arrive, à ma mort ou à la tienne, lorsque le grand loup gris du temps dévorera l’un d’entre nous, nous serons quittes.
Et plus tard dans le roman, lorsque le dieu Gris apparaît, Kaltaj le salue ainsi :
Bienvenue, Loup du temps.
Ce peuple a donné au dieu Gris la forme du loup. D’ailleurs, dans Les Illusions de Sav-Loar, Luernios explique cette légende.
Dans certaines tribus vivants sous des latitudes extrêmes, le Gris était nommé le Grand Loup du Temps, représenté comme un loup invisible marchant derrière chaque homme du jour de sa conception à celui de sa mort, où il le dévorait.
Il m’a ainsi paru naturel d’associer le loup à Équinoxe, qui deviendrait plus tard le dieu Gris.
Tout ça pour te dire que Le Cycle des Secrets se passe 2000 ans avant L’Héritage et Sav-Loar, et que l’une des héroïnes de la trilogie devient un personnage central de ces deux one shot.
De fait, j’ai aussi distillé quelques autres clins d’oeil. Le bateau dans lequel Équinoxe fait naufrage dans le prologue du Cycle des Secrets, ce bateau dont elle utilise ensuite la forme en guise de palais mental, où elle dissimule les secrets qu’elle a récolté, ce bateau, donc, s’appelle... l’Astria. Comme la capitale du royaume d’Ombre. On peut donc imaginer qu’à la fondation de ce royaume, le dieu gris a murmuré à l’oreille des rois et des reines pour que la ville porte ce nom.
Il y a aussi le geste que fait Équinoxe pour rejoindre les limbes, qui est identique au geste que fait le dieu Gris...
Et puis tu te souviens comment Myst demande à Équinoxe de l’appeler dans le tome 2 ?
– Comment dois-je vous appeler ?
L’espionne interrompit son mouvement.
– Ombre. Car c’est ce que je suis. Votre ombre. Et tant que vous demeurerez à Aletheia, vous me trouverez accrochée à vos pas.
Yep. Ombre, comme le royaume. Visiblement, Équinoxe devenu le dieu Gris n’a jamais oublié Myst et a carrément donné son surnom au royaume qu’il considère comme chez lui.
Bon, et puis comme ça ne suffisait pas, j’ai aussi tissé un lien avec une autre série... J’écrivais le deuxième tome du Cycle des Secrets et, pour un flashback de la vie d’Équinoxe, j’avais besoin de placer une scène sur un autre monde. Au lieu d’en créé un, je me suis dit « hey ! Et si j’utilisais June ? »
June, c’est une trilogie de fantasy ado que j’ai publiée entre 2012 et 2014. Le deuxième tome se déroule dans une ville composée de cinq grandes tours de verre reliées par des ponts, et à leurs pieds, de bas-fond boueux. J’ai utilisé ce décor pour mon flashback.
Les convives valsaient dans la salle de bal et les robes colorées murmuraient sur le sol. Appuyée aux curieux tubes de verre qui formaient les murs, Équinoxe admirait le spectacle. Elle était sur ce monde depuis plusieurs jours et n’avait pas encore réussi à quitter cette étrange ville de verre plantée au milieu d’immenses marais.
Ce qui signifie que l’une des facettes des limbes mène au monde de June ! D’ailleurs, je n’ai pas juste utilisé le décor, mais bien une scène du tome 2 de June, donc Équinoxe et June se trouvent à ce moment-là dans la même salle, même si elles ne se rencontrent pas…
Voilà,
tu sais (à peu près) tout, et autant te dire que ça a été un casse-tête de tout faire coller ! L’avantage était que les trois dieux de mes précédents romans ont tissé leur propre légende, et que, comme les jumeaux sont devenus amnésiques, ils croient vraiment à leur propre légende du dieu de la nuit et de la déesse du jour. Ils pouvaient donc affirmer des choses dans l’Héritage et Les Illusions, que j’infirmais dans Le Cycle des Secrets. « Alors en fait, ils ont un peu enjolivé leurs origines... »
C’est tout pour cette fois !
De quoi aimerais-tu que je te parle le mois prochain ?
J’ai lu les spoilers parce que tant pis et je n’étais pas déçu c’est incroyable tous ces liens !
J'adore te lire ! (même si j'ai dû sauter les spoilers ahah)